Le troisième webinaire du cycle 2025 « Enjeux de santé mentale » du jeudi 11 septembre a porté sur la thématique « Agir pour la santé mentale en insertion : renouveler les approches et les pratiques d’accompagnement ».
Avec les interventions de :
- Pierre De Oliveira, maître de conférences en psychologie sociale à l’Université Bourgogne Franche Comté
- Anthony Clain, docteur en psychologie sociale et consultant sénior en santé mentale au travail
- Apolline Blanchet Directrice chez CASTA-Insertion (Ariège)
- Angélique Domergue, DRH à l’EBE Abeille Verte (Lodève, Hérault)
- Virginie Poujol, anthropologue et coordinatrice du LERIS (Laboratoire d’Etudes et de Recherche sur l’Intervention Sociale)
- Magali Blanc, Conseillère en Insertion Professionnelle, Association Insertion Environnement Emploi Forca Real (PO)
Présentation de l’étude « Insertion par l’activité économique : les effets bénéfiques de la participation aux ateliers et chantiers d’insertion et du soutien à l’autonomie dans l’encadrement sur l’émergence de ressources psychologiques favorables à l’emploi ».
Les méta-analyses menées au niveau national et européen montrent que le chômage a un effet délétère sur le bien-être psychologique, entraînant une augmentation de la détresse, de la dépression, de l’anxiété, des symptômes psychosomatiques, ainsi qu’une baisse de l’estime de soi et du bien-être subjectif. Face à ces enjeux, il devient crucial d’identifier des leviers et des ressources pour soutenir les individus pendant ces périodes d’incertitude.
Une étude réalisée auprès des salariés en chantier d’insertion (ACI) dans le cadre du Pacte des Solidarités en Côte-d’Or a permis d’évaluer l’impact du type d’accompagnement sur le développement des ressources psychologiques favorables à l’emploi.
Cette étude se propose de répondre à deux questions :
- Dans quelle mesure pouvons-nous identifier des leviers et ressources qui pouvant permettre aux individus de traverser au mieux ces périodes d’incertitude et de vulnérabilité ?
- Dans quelle mesure l’acquisition des ressources est potentialisée par le type d’accompagnement reçu ? Quel impact a un accompagnement perçu comme favorisant le contrôle sur le développement des ressources vs l’impact d’un accompagnement perçu comme favorisant l’autonomie ?
Analyse des effets produits sur le bien-être de la participation à un ACI
Principaux résultats :
- Les salariés ont exprimé une diminution de la détresse psychologique entre l’avant et l’après ACI. Ainsi, il y a un impact significatif de la participation au ACI sur la santé mentale.
- La pression financière diminue
- Des effets notables d’un parcours en insertion par les ACI sur les ressources liées au besoin d’affiliation, de relations et sur les fonctions latentes (contact social, utilité, reconnaissance)
- Des effets notables sur le sentiment d’unité et le partage d’une identité
Dans quelle mesure l’acquisition des ressources psychologiques est potentialisée par le type d’accompagnement reçu ?
L’étude s’est également intéressée à l’impact des modalités d’accompagnement sur le développement des ressources psychologiques. Deux types de leadership ont été comparés : un leadership plus directif, centré sur le contrôle, et un leadership participatif, favorisant l’autonomie.
Les résultats montrent que, bien que les deux approches aient des avantages, un leadership participatif semble plus bénéfique pour certaines dimensions psychologiques, telles que le bien-être, la motivation, le sentiment d’appartenance et la perception d’un monde du travail plus ouvert. La perception d’autonomie dans l’accompagnement est particulièrement liée au développement des ressources dans la sphère sociale (contacts sociaux, statut social, ouverture perçue du monde du travail).
La conclusion des analyses est donc qu’ il faut cultiver l’autonomie là où c’est possible, surtout si les objectifs sont en lien avec la sphère sociale.
Quelques recommandations afin de cultiver l’autonomie dans l’accompagnement des publics des ACI :
- La méta-communication (expliquer l’intention qui sous-tend ma demande)
- La clarification des attendus
- La transmission d’information
- L’implication des personnes
- La favorisation de la sécurité psychologique (donner le droit à l’erreur, impliquer l’autre, encourager à la réflexivité).
L’accompagnement des salariés en ACI doit donc concilier soutien à l’autonomie et guidance adaptée, afin de maximiser les effets positifs sur leur bien-être psychologique et leur réintégration dans le monde du travail.
Une expérimentation d’écoute psychologique pour les salariés en insertion en Ariège
Le chantier d’insertion CASTA, réparti sur l’ensemble de l’Ariège, emploie une soixantaine de personnes et fait partie d’un réseau mutualisé avec deux autres chantiers d’insertion du département. Depuis deux ans, une réflexion a été engagée suite à la récurrence des problématiques psychologiques soulevées par les salariés lors des entretiens avec les conseillères en évolution professionnelle (CEP). En effet, ces dernières consacraient régulièrement une part importante de leur temps à l’accompagnement psychologique des salariés en insertion lors des entretiens individuels, ce qui limitait leur disponibilité pour l’accompagnement des projets professionnels des salariés.
Pour répondre à ces enjeux, une expérimentation financée sur fonds propres a été lancée. Un psychologue a été conventionné pour proposer une permanence d’écoute psychologique sur le site d’insertion de Pamiers. Lors d’une permanence, le psychologue rencontre en moyenne cinq salariés par demi-journée et travaille en lien étroit avec les CEP, dans le respect du secret médical, pour bien comprendre les besoins des salariés avant chaque séance et discuter des perspectives après les séances.
Les séances, qui peuvent varier entre une et cinq sessions par salarié, ne visent pas à initier une psychothérapie mais à débloquer des situations spécifiques. Les séances sont prescrites sur demande des CEP, qui peuvent proposer ce dispositif suite à une demande du salarié ou avec son accord.
Les retours des salariés sur cette expérimentation sont très positifs. Ils apprécient particulièrement la disponibilité de cette écoute sur leur lieu de travail, facilitant ainsi l’accès au soutien psychologique. Cette permanence permet également de décharger les CEP, en leur offrant un relais professionnel pour les problématiques psychologiques, ce qui leur permet de se concentrer sur l’avancement des projets professionnels.
En complément, des groupes d’analyse des pratiques professionnelles ont été mis en place pour les permanents et les CEP. Ces sessions, menées avec le psychologue, offrent un espace de réflexion et de questionnement sur leurs pratiques d’accompagnement, renforçant ainsi la qualité du soutien apporté aux salariés en insertion.
Abeille Verte : Une Entreprise à But d’Emploi engagée pour le bien-être au travail à Lodève dans l’Hérault
L’Entreprise à But d’Emploi (EBE) Abeille Verte s’inscrit dans le cadre de l’expérimentation Territoires Zéro Chômeur de Longue Durée (TZCLDTerritoire zéro chômeur de longue durée More). Ce dispositif repose sur un principe fondateur : proposer, sur la base du volontariat, un emploi à toutes les personnes durablement privées d’emploi, sans sélection et à temps choisi.
Aujourd’hui, 170 personnes sont salariées au sein d’Abeille Verte. L’EBE développe une approche innovante sur la prise en charge des difficultés rencontrées psychologiques et sociales rencontrées par les salariés.
Face à ces enjeux, l’EBE Abeille Verte a fait le choix de constituer une équipe pluridisciplinaire intégrée au sein du service des Ressources Humaines (RH), renommé ici avec intention « Richesses Humaines ». Cette équipe est composée de :
- Un conseiller en insertion sociale et professionnelle
- Un médiateur entreprises
- Une référente handicap
- Une référente harcèlement et prévention des violences en milieu professionnel
Chaque professionnel intervient dans son domaine de compétence. Des réunions de coordination peuvent être organisées pour construire des réponses adaptées aux situations complexes.
L’équipe qui œuvre pour la qualité et les conditions de travail accompagne à la prise en responsabilité du parcours de soin pour les personnes qui en ont besoin. Les membres n’ont pas de lien hiérarchique ou de subordination avec l’ensemble des salariés, mais évoluent dans un espace transverse de facilitation, afin de construire des parcours dans le temps.
En complément de son équipe interne, Abeille Verte s’appuie sur des partenariats locaux, notamment avec des psychologues et thérapeutes du Lodévois mobilisés pour l’accès à la santé mentale pour tous. Ces professionnels peuvent faire le choix d’ajuster leurs honoraires, permettant des prises en charge rapides pour les situations d’urgence. Une réflexion conjointe avec le CSE est en cours pour mettre en place une cagnotte solidaire, visant à réduire davantage le coût de ces consultations et à lever les freins économiques à l’accès au soin.
Un autre levier d’inclusion et de bien-être réside dans la mise en place d’un parcours d’intégration structuré pour chaque nouvel arrivant. Ce parcours comprend :
- Un accueil personnalisé
- Une présentation de l’entreprise et du projet TZCLDTerritoire zéro chômeur de longue durée More
- Une visite des différents sites
- Des formations adaptées
- Des temps conviviaux et collectifs, organisés chaque mois
Ces initiatives renforcent le sentiment d’appartenance, favorisent les échanges informels, et contribuent à un climat de travail serein et sécurisant.
Présentation du projet « Accompagnement libéré des dominations : une Insertion Nouvelle » (Alad’In) porté par le Leris
Le LERIS est un laboratoire de recherche associatif actif depuis une vingtaine d’années. Le projet Alad’In (Accompagnement libéré des dominations : une Insertion Nouvelle) est un projet Erasmus co-financé par l’Union Européenne, mené en partenariat avec des structures d’insertion en France, Belgique, Portugal et Italie. Il vise à transformer les rapports de domination dans les structures d’insertion sociale et professionnelle. Ce projet se propose de répondre à la question « Qu’à-t-on à gagner à avoir des relations égalitaires dans les structures et entreprises du social ? »
Le projet part du constat que les travailleurs sociaux, conseillers en insertion, bénévoles et autres acteurs de l’insertion sont souvent porteurs de rapports de domination, qu’ils soient volontaires ou non. L’hypothèse du projet est que modifier les postures de travail des professionnels et repositionner les accompagnés dans des rapports égalitaires permettrait de favoriser leur émancipation et de les aider à sortir du « circuit de l’insertion » et de la précarité.
L’objectif du projet est de passer d’une relation de domination à un partenariat entre les acteurs de l’insertion. Cette approche repose sur l’idée que des rapports égalitaires soutiennent l’émancipation, définie comme la capacité à sortir de la place qui nous a été assignée et à trouver sa propre place dans la société.
La méthodologie du projet s’articule autour de quatre étapes :
- Devenir un génie de l’animation : Formation à l’animation et aux clés conceptuelles de la méthode.
- Se projeter dans un monde utopique égalitaire : Identifier les rapports de domination présents dans l’entreprise (bureaucratiques, patriarcaux, racistes, etc.) et choisir ceux sur lesquels le groupe va travailler. Les groupes sont mixtes, composés d’encadrants, de conseillers et de personnes accompagnées. Des moments mixtes et entre pairs sont proposés.
- Atelier « Dans ta gueule » : Déclencher une prise de conscience des rapports de domination vécus au quotidien à travers une approche percutante. Cet atelier vise à confronter les participants à la violence systémique souvent invisibilisée.
- Construire un plan d’action vers des relations égalitaires : Élaborer des stratégies concrètes pour instaurer des relations égalitaires dans les structures d’insertion.
Résultats et enseignements :
Le projet Alad’In a permis de :
- Rendre visibles certains rapports inégalitaires dans l’entreprise et de mieux les comprendre.
- Mettre en lumière l’impact de ces rapports de domination sur le bien-être, l’estime de soi et la confiance des salariés.
- Expérimenter le vécu des inégalités à travers des mises en situation, renforçant la prise de conscience des rapports de domination.
- Favoriser l’émancipation des salariés en les incitant à prendre une part active dans la construction de leur insertion.
En conclusion, le projet Alad’In a montré que la libération des rapports de domination et la promotion de relations égalitaires dans les structures d’insertion favorisent l’émancipation des individus et contribuent à leur bien-être.
L’ACI Insertion Environnement Força Real (Pyrénées Orientales): un parcours d’insertion ancré dans l’écoute et le soin
Au sein de l’Atelier Chantier d’Insertion (ACI) Insertion Environnement Força Real, dans les Pyrénées-Orientales, Magali Blanc, conseillère en insertion professionnelle, a structuré autour de l’ACI un réseau territorial de partenaires en santé mentale : centres d’examens de soins (CCPAM), hôpital de Perpignan, associations spécialisées… Le Conseil Départemental des PO a également été d’un fort soutien par la création d’un partenariat avec Cohérence Réseau, une structure d’accompagnement vers l’autonomie par le rétablissement psychique. Le développement de ce réseau partenarial territorial répond aux besoins d’accompagnement aux problématiques psychologiques rencontrées par les salariés en insertion.
L’ACI a également été retenue par la Fédération des Acteurs de la Solidarité (FAS) dans le cadre de son appel à projets sur la thématique « Précarité – Addictions ». Le projet va permettre la mise en place un conventionnement avec le Centre d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des Risques pour Usagers de Drogues (CAARUD) et le Centre de Soin, d’Accompagnement et Prévention en Addictologie (CSAPA).
Enfin, le projet Alad’In présenté ci-dessus a été déployé dans l’ACI et y a été bien accueilli. Mme Blanc a établi une méthodologie afin de présenter la démarche aux salariés en insertion accompagnés et travailler à l’analyse et au réajustement des postures professionnelles. L’objectif étant, pour les permanents et les CIP, de se projeter dans une relation égalitaire basée sur l’écoute des personnes accompagnées, sans leur imposer une vision de leur devenir.
Pour plus de ressources :
Article publié le 18/09/2025.